5ème notion : le langage (notion ES)

Publié le par Bartholomeus

                                                    Le langage



 

I)Le rapport entre langage et pensée

 

            Est-il possible de parler sans rien exprimer ? Et à l’inverse, est-il possible de penser et de se taire ? Si la réponse à la seconde question semble évidente, ses conséquences sont beaucoup plus intéressantes. En effet, si la parole a un pouvoir, une utilité, alors penser et ne pas parler revient à vouloir quelque chose, mais ne pas le mettre en acte. Cependant, avant de nous pencher sur le pouvoir des mots, il faut nous pencher sur la pensée à laquelle le langage est rattaché. En effet, en nous interrogeant sur le langage, nous en arrivons à nous questionner sur la pensée.

Qu’est-ce que la pensée ? Celle-ci prend-elle forcément une forme langagière ?

Que serait une pensée non-langagière ? Le problème semble malheureusement difficile à résoudre. En effet, d’un point de vue historique nous pouvons observer de nombreuses divergences entre les différentes théories, différences qui nous rendent difficiles la compréhension des rapports entre pensée et langage.

En effet, si l’on se réfère à la pensée de Saussure (fin du 19ème siècle), la pensée est définie comme intelligence verbale. Ainsi, Richard dans son « Cours de psychologie » nous détaille d’ailleurs les expériences sur la pensée, telles qu’elles étaient pratiquées au début du siècle, et qui consistaient à étudier les réactions des sujets face à des énoncés contradictoires tel que « on doit à la fois être sensible et cruel, si l’on veut également être l’un et l’autre ».

Dans l’optique de cette définition, la pensée est nécessairement seconde et dépendante de la langue, et il ne peut y avoir de pensée sans langage.

Cependant, la psychologie moderne, notamment au travers des théories constructivistes de Piaget. Celui-ci s’est penché sur la naissance de la pensée chez le jeune enfant et a constaté que celle-ci se construit en plusieurs étapes successives.

 

            A)Le rôle de la pensée dans la construction du langage

 

            Tout d’abord, il faut éliminer de notre champ d’étude la pensée telle que nous la possédons actuellement. En effet, s’il semble possible actuellement de concevoir une pensé non-langagière et donc d’établir l’antériorité de la pensée sur le langage, cela peut être rendu possible par le fait que l’esprit soit déjà structuré de manière langagière, si bien que ce qui nous semble être une pensée a-langagière n’est peut-être rendue possible que par le fait d’une structure langagière.

C’est pourquoi il faut, si l’on veut voir la possibilité d’une pensée non-langagière, remonter avant l’apprentissage de toute langue, avant l’apprentissage du langage même. D’où la nécessité de remonter à l’étude de la pensée chez le jeune enfant (tout en excluant l’influence des paroles entendues par l’enfant au stade pré-natal, dont le rôle exact est difficilement quantifiable).

Or, l’utilisation du langage suppose une capacité d’abstraction, puisque le langage suppose une capacité de combinaison et de représentation de l’identité de différents objets différents pour les représenter sous un nom commun.

Or, cette faculté d’abstraction semble apparaître très tardivement.

Ainsi, Piaget et Szeminska nous relate l’expérience suivante :


Ils prirent des enfants d’âge différents, et les soumirent à un petit test. Devant l’enfant, on place 2 tubes, strictement identiques en largeur et en hauteur, tous deux remplis d’eau. Dans un premier temps, on montre bien aux enfants l’identité de niveau dans les 2 tubes, puis dans un second temps, on place le contenu de l’eau des 2 tubes dans un autre récipient, moins large mais plus haut. On pose ensuite la question à chaque enfant pour savoir si le volume dans les 2 tubes est toujours le même.

Or, Piaget et Szeminska remarquèrent que seuls les enfants à partir de 7 ans furent capables de se rendre compte de l’identité de volumes. Ce qui les amena à conclure que les facultés d’abstraction des quantités ne sont accessibles à l’enfant qu’à partir de 7 ans.

De cette constatation, Piaget en déduisit le fait que la pensée humaine passe par un ensemble d’étapes successives de complexification de l’esprit.

Il faut toutefois limiter la portée de cette expérience par les faits postérieurs, puisqu’en 1967 Melher et Bever montrèrent que des enfants plus jeunes étaient capables de trouver la bonne réponse si on remplaçait l’eau par des bonbons. De même, en 1974 McGarrigle et Donalson obtinrent des résultats encore plus convaincants (amenant des enfants de 3 ans au bon résultat) en plaçant l’expérience dans un cadre ludique (le « vilain ours » qui joue des farces). Enfin, en 1990, Starkey, Spelke et Gelman montrèrent que ces facultés d’abstraction était déjà présente chez les nourrissons de quelques mois (pour de petites quantités dénombrables uniquement).

Si ces expériences postérieures remettent en partie en cause les conclusions de Piaget, elles montrent néanmoins une évolution des capacités cognitives tout à fait compatibles avec les thèses de Piaget.

 

Sa théorie pose ainsi (par la méthode de l’entretien clinique et la confrontation des points communs entre les différentes réponses obtenues) l’existence de différents stades de développement chez l’enfant, stade qui se caractérise par l’obtention de capacités cognitives spécifiques. Or, parmi ses stades se trouvent le stade de l’acquisition du langage, le stade pré-opératoire. Or, ce stade se situe aux alentours de 2 à 7 ans.

Ainsi, pour voir s’il existe une forme de pensée non-langagière, il suffira de voir si l’enfant au stade précédant le stade de l’intelligence pré-opératoire est capable d’une pensée. Or, Piaget montra que l’intelligence et la pensée sont présentes de 0 à 2 ans et forme le stade de l’intelligence sensori-motrice. Ce stade constitue un réflexe d’adaptation au milieu de la part de l’enfant. Outre ce réflexe d’adaptation, la pensée de l’enfant intègre un second processus, le processus d’assimilation, qui intègre dans l’esprit de l’enfant les éléments de l’extérieur.

A travers de ce double processus, l’enfant transforme petit à petit ses réflexes héréditaires à son milieu, les transformant ainsi en conduite volontaire, ce qui suppose qu’il soit capable de faire le distinguo entre ce que son corps lui impose de faire et ce que son esprit lui indique.

Ainsi, l’un des processus primaires de l’enfant est le principe de succion, qui pousse l’enfant à sucer indistinctement tout ce qu’il peut porter à la bouche. Cependant, ce principe de succion finit par devenir intelligent, puisque l’on finira par observer une succion pour tout ce qui procura de la nourriture (sein ou biberon) et une simple mise dans la bouche pour tout le reste.

Or, dans ce processus de distinction de son environnement, il finira par apercevoir les différences concluantes et celles qui ne le sont pas, première nécessité pour l’acquisition d’un langage (qui présuppose de pouvoir voir les points communs des objets pour les appeler d’un même nom). De plus, les moyens que l’enfant mettra en œuvre pour obtenir ce qu’ils souhaitent deviendront de plus en plus réfléchis, dépassant la simple expérimentation (tâtonnement) pour devenir un raisonnement théorique. C’est à ce stade que le langage pourra apparaître, car il contiendra les 2 impératifs pour l’acquisition d’un langage : faculté combinatoire et capacité d’abstraction.

Dès lors, si l’esprit passe par différents stades pour se construire, alors la structure langagière n’est que l’une de ces étapes et en tant que tel, il semble possible de dire que la pensée est antérieure au langage, tout du moins d’un point de vue ontogénétique (étude du vivant de sa naissance à sa mort).

Cependant, cette primauté relative de la pensée sur le langage, si elle semble valable d’un point de vue ontogénétique, l’est-elle toujours à présent ?

En effet, maintenant que l’esprit a atteint sa structure langagière, n’y a-t-il pas prévalence du langage sur la pensée, de telle sorte que la pensée ne peut être envisagée de manière extra-langagière.

Piaget lui-même considérait la complexification de l’esprit humain selon un principe d’intégration, selon lequel les facultés de l’esprit ne viennent pas en s’ajoutant les unes aux autres, mais en intégrant les anciennes au sein d’une plus grande structure. Ainsi, le langage en apparaissant aurait intégré les facultés de pensée comme sous-structure, qui en tant que telle ne pourrait plus se concevoir de manière indépendante.

 

            B)La pensée est toujours un acte de langage

 

            En observant la théorie de Piaget, nous pouvons cependant constater quelques problèmes. En effet, Piaget remarque l’existence de comportements héréditaires, dont la variation grâce au milieu donnera par la suite l’ensemble des processus mentaux. Cependant, cela présuppose que l’ensemble des contenus psychiques de l’homme se trouve sous une forme primitive présente chez l’enfant.

Or, cela peut se comprendre pour les actes de l’enfant, qui ne sont bien souvent dans les premières années de vie que des variations des comportements primaires de survie (nutrition, découverte du milieu, besoin de protection, etc.) Cependant, comment la faculté de conceptualisation et d’abstraction peut-elle apparaître chez l’enfant ? Dans quel comportement primitif héréditaire peut-on la retrouver ?

L’apport contextuel est certes indispensable dans la théorie de Piaget, mais il ne trouve son efficacité que dans la modification de facultés déjà présentes (processus d’assimilation et d’adaptation).

Tout ceci semble indiquer une prédisposition au langage de l’esprit humain, prédisposition qui permet le développement ultérieur d’une langue. Cette langue originelle, qui rendrait possible l’étude de toutes les autres langues par la suite par un principe d’analogie, est appelée par Chomsky grammaire universelle. Dès lors, si la pensée inclut dès la base cet outil linguistique dans la formation du langage, c’est donc que la pensée est amorphe hors de la langue, c’est-à-dire que la langue donne sa structure à la pensée.


Exemple : On demande à certains sujets de dire quelle est la couleur des mots qui apparaîtront à l’écran. Pour cela, le sujet possède un boîtier sur lequel se trouvent 2 boutons, un pour chaque couleur. Dans un premier temps, on place le boîtier de réponse du côté droit (main droite), et on commence à faire apparaître les mots (durant un laps de temps très court, +/- 1s), en les teintant en rouge ou en bleu. Puis, on fait apparaître les mots « rouge » et « bleu », mais dans la couleur inverse (le mot « rouge » écrit en bleu et inversement). Or, l’expérience montre que la plupart des sujets se trompent alors et donne la couleur qui est notée, et non pas celle qui est utilisée(alors qu’il n’y avait que peu d’erreurs pour d’autres termes).

La même expérience est réalisée avec la main gauche, mais ces erreurs ne sont pas observées.

 

Que peut-on conclure de cette expérience ? D’une part, la 1ère partie de l’expérience, qui montre des mots dans une certaine couleur sert d’expérience témoin pour montrer que les gens peuvent reconnaître la couleur dans le laps de temps demandé.

La 2nde partie de l’expérience, montre quant à elle que quand 2 informations sont en contradiction, et que l’une est perceptive alors que l’autre est simplement langagière, c’est l’information langagière qui est traitée par la pensée.

La 3ème partie de l’expérience ne fait que renforcer cette impression, puisque la main gauche (qui est dirigé par notre cerveau droit, responsable de l’affectivité et du ressenti) est a-langagier. A l’inverse, la main droite qui est dirigée par le cerveau gauche (responsable de la réflexion et de la raison), est quant à elle liée au langage.

Cette expérience semble donc bien indiquer que la pensée (en tant que véritable pensée, et non pas en tant qu’instinct) est déterminée par le langage, qui lui donne sa forme et qui donc prévaut sur le contenu.

 

D’où l’idée alors qu’en dehors du langage, la pensée est comme amorphe, car s’il existe une pensée hors du langage (ce qui n’est pas sûr), elle ne peut-être qu’instinctive, et sans véritable cohérence.

Cette hypothèse selon laquelle le langage n’est pas simplement le moyen d’expression de la pensée, mais l’origine de sa formation est l’hypothèse appelée « hypothèse Sapir-Whorf ».

Cela signifie alors qu’une personne qui possède une certaine langue voit le monde différemment d’une personne avec une autre langue.

Cependant, nous pouvons voir ici, que ce n’est pas le langage qui est ici mis en avant par l’hypothèse Sapir-Whorf, mais la langue, ce qui peut conduire à l’interprétation suivante : la pensée est déterminée par la langue que l’individu possède.

En effet, nous trouvons alors l’idée d’une séparation entre ce qui est signifié par la langue et le signifiant utilisé par celle-ci. Le point intéressant est que l’ajout d’un signifiant dans une langue modifiera l’ensemble des signifiés des autres signifiants de la même langue.Renvoie à la théorie de Saussure.

Signifié : renvoie non pas à l’objet qui est désigné par le terme, mais à l’idée auquel le terme renvoie

Signifiant : image acoustique d’un mot.( la phonétique du terme)

Signe : entité dont le sens est déterminé par rapport à un signifié mais négativement vis-à-vis des autres signes. (comment un terme est représenté)


Exemple : si ma langue possède uniquement 2 signifiants et/ou signes, alors le monde se divisera entre ces 2 signes. Si ma langue possède uniquement les signes/signifiants « monde » et « homme », alors tout ce qui n’est pas homme est monde et réciproquement. Si par cotre j’ajoute un nouveau signifiant/signe dans ma langue, le signifié  des 2 autres est modifié. L’introduction du signe « animal », modifie le signifié de « monde » et de « homme », puisque l’homme devient ce qui n’est pas animal ni monde, le monde ce qui n’est pas homme ni animal, etc.

 

Or, cela signifie qu’en multipliant le nombre de signe d’une langue, nous modifions également la précision de ces signes et donc la clarté de leur signifié. Ce signifié étant le sens que le signe possède, cela modifie donc notre compréhension du monde. Une langue est donc un système de signes, signes qui ne sont que purement conventionnelles et définissent arbitrairement par leur nombre les signifiés.

Le langage n’est donc qu’un découpage d’un gigantesque ensemble sans véritable forme (un gigantesque ensemble de signifiés indifférenciés) , qui donne du sens par la structure qu’il impose à cette masse.

Cependant, la conception de Saussure ne tient pas uniquement sur un rapport purement interne de la langue ou du langage, mais également de la possibilité pour le langage de subir une détermination extérieure, qui aboutirait à la création d’un signifié spécifique sans signe ni signifiant associé, ce qu’Edelman appellera la conscience primaire (plus ou moins équivalente à la conscience spontanée). Ainsi, si une langue ne définit pas les mêmes phénomènes par le même nombre de signes (ce qui semblerait indiquer une moins grande capacité de différenciation de la part des personnes qui utilisent cette langue), il est possible de constater que les personnes qui pratiquent cette langue sont tout de même capable de distinguer les éléments sans signe (ce qui ne devrait pas être possible si la pensée est déterminée par les signes utilisés par elle).

Il semblerait donc que le langage soit dans l’incapacité de rendre compte de tous les phénomènes de pensée.


            C)Le langage est incapable de rendre la complexité de la pensée.


            « L'influence du langage sur la sensation est plus profonde qu'on ne le pense généralement. Non seulement le langage nous fait croire à l'invariabilité de nos sensations, mais il nous trompera parfois sur le caractère de la sensation éprouvée. Ainsi, quand je mange d'un mets réputé exquis, le nom qu'il porte, gros de l'approbation qu'on lui donne, s'interpose entre ma sensation et ma conscience; je pourrais croire que la saveur me plaît, alors qu'un léger effort d'attention me prouverait le contraire. Bref, le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce qu'il y a de stable, de commun et par conséquent d'impersonnel dans les impressions de l'humanité, écrase ou tout au moins recouvre les impressions délicates et fugitives de notre conscience individuelle. Pour lutter à armes égales, celles-ci devraient s'exprimer par des mots précis ; mais ces mots, à peine formés, se retourneraient contre la sensation qui leur donna naissance, et inventés pour témoigner que la sensation est instable, ils lui imposeraient leur propre stabilité »

Bergson

 


II)La spécificité du langage humain

           

            A)La possibilité d’un langage animal

 

Exemple : L’expérience des Premack sur les chimpanzés. Ils essayèrent de mettre en place une communication avec le chimpanzé (Sarah) à l’aide de petites pièces de plastique aimantée (de différentes formes et couleurs) et un tableau magnétique. Ces pièces étaient sensées représenter différents objets et qualités :

-fruits (pomme ou banane)

-qualités (rouge ou vert)

-actions (donner ou manger)

-des individus (Sarah ou la monitrice)

-des relations logiques (identité ou différence)

-des relations empiriques ( x est la couleur de y)

-des relations métalinguistiques (x est le nom de y)

-des connecteurs (si alors, non)

Le chimpanzés Sarah réussit, après de multiples essais et erreurs à :

-former des phrases comme « Mary donner pomme à Sarah »

-répondre « non » quand on lui faisait voir la combinaison de jetons signifiant « pomme identique à banane ? »

-répondre « oui » quand on met un jeton correspondant à « rouge » en face de la combinaison « couleur de pomme ? »

-représenter avec les jetons une phrase qui exprimait ce qu’elle voyait

Cette expérience semble indiquer que Sarah a été capable d’acquérir un langage composé et arbitraire, ce qui semblerait indiquer la possibilité d’un langage chez l’animal.

 


C’est en observant ce genre de signes qui semblent indiquer une communication animale que Montaigne en vint à affirmer l’existence d’un langage animal. En effet, si les animaux réagissent aux sollicitations du monde extérieur par divers comportements déterminés par ces dernières, nous pouvons y voir une réaction volontaire de l’animal. Cependant, il n’est possible à Montaigne d’affirmer la présence d’un langage animal que par le fait qu’il a précédemment étendu le champ du langage à toute expression corporelle.

Cependant, accepter les signes corporels comme une forme de langage pose alors le problème de l’interprétation. S’il faut voir dans l’ensemble du corps de l’animal la possibilité d’un langage, cela multiplie d’autant plus le risque de tomber dans l’anthropomorphisme et donc de sur-interpréter un comportement qui n’est en fin de compte qu’anodin.

C’est pourquoi pour voir la possibilité d’un langage animal, il faut essayer de déterminer les critères objectifs qui définissent une langue.

En dehors de cette recherche nécessaire, il est également possible de critique le protocole de l’expérience précédente.

En effet, l’apprentissage du chimpanzé est conditionné par la position qu’il possède avec son moniteur (les rapports qu’ils entretiennent), qui encourage l’apprentissage par une stimulation d’ordre instinctif (appétit). De plus, les jetons sont placés à proximité des mots auxquels ils renvoient, si bien que l’association est plutôt faite par l’homme que par l’animal.

C’est pourquoi la possibilité d’un langage animal ne pourra pas passer par l’expérimentation, qui nous soumettra toujours au risque de l’interprétation, mais devra passer par la logique.

En effet, l’expression d’un cri ou d’un comportement ne suppose pas l’existence d’une pensée qui supporterait le langage, tout au plus cela suppose-t-il l’existence d’une passion, d’un instinct qui cherche à s’exprimer. Comment alors constater la présence d’une pensée à l’œuvre derrière une production qu’elle soit orale ou physique ?

La réponse se trouve dans le phénomène de combinatoire. Le langage humain possède cette particularité de se baser sur une double articulation « morphème » et « phonème ».


Exemple de morphème

Dans la phrase « je mange un pomme », les morphèmes sont les suivants :

« je », « mang », « _e », « une » et « pomme »


Les morphèmes sont les unités qui découlent de l’analyse des énoncés. Le propre des morphèmes est d’être réutilisable dans d’autres contextes (à l’inverse du cri de l’animal, qui est propre à une situation).

Ce sont les morphèmes qui expliquent la possibilité pour la langue d’exprimer une infinité de situations différentes avec un nombre d’entités langagières, de signes limités.

Le second degré d’articulation du langage se situe au niveau du phonème, qui est l’ensemble des parties constituantes d’un morphème. Le phonème n’a pas de sens en lui-même, mais sa présence ou son absence change totalement la signification du morphème (le phonème est donc non-signifiant en lui-même, mais trouve son sens dans la combinaison). Le phonème est un principe d’économie, qui permet d’avoir un nombre d’entités (de sons produits par le larynx) très limité. C’est donc cette double articulation qui permet au langage d’être défini comme tel. Si on ne peut pas attendre des animaux d’avoir exactement la même articulation du langage, nous pouvons néanmoins nous attendre à ce que leurs réponses soient articulées si nous voulons réellement parler d’un langage animal.

Or, le « langage » animal est totalement dépourvu d’articulations, puisqu’à une situation donnée correspondra toujours le même signe (Cf. l’exemple des abeilles de Von Frisch)

Dès lors, il ne faut pas voir dans les réactions de l’animal la présence d’un langage, mais simplement l’application d’un principe de stimulation-réponse.


Ainsi, le linguiste Benveniste reprendra cette critique du langage animale (que l’on retrouvait déjà chez Descartes), en la systématisant.

Il réunira ainsi les faits qui démontrent l’absence d’un langage animal :


-le message transmet toujours la même information, sans possibilité de modifier cette information. De même, l’animal n’a pas le choix entre communiquer ou pas, s’il a l’information il la transmettra obligatoirement (pas de mensonge possible, ni d’omission).


-le message est dépourvu de capacité combinatoire


-il n’attend aucune réponse, ni modification


-il est transmis de manière héréditaire, sans modification. Ce langage n’évolue que quand il y a spéciation qui entraîne une modification génétique.

 

Le langage semble donc être une spécificité humaine

 

            B)Le langage est « le fait culturel par excellence » (C. Lévi-Strauss)


            Question : faut-il lutter contre le langage SMS ?

Pistes de réflexion : - ce langage amène les jeunes à de nombreuses fautes d’orthographe, qui les pénalisent ensuite dans la société.

-le concept de langue vivante implique une évolution de la langue

-Le papyrus d’Egerton : Cet extrait d’un texte sacré du 1er siècle après J-C fait partie des textes apocryphes (texte de la chrétienté non-retenus par l’église pour fonder son dogme). Or, les 2 parties encadrées sont des abréviations. La première : ΚΣ, est l’abréviation de ΚΥΡΙΟΣ (le seigneur= kyrios) et la seconde : ΙΗ est l’abréviation de ΙΗΣΟΥΣ (iésous= Jésus). C’est pas souci économique que ces abréviations étaient faites (gain de place sur des papyrus très coûteux).

Ce type d’utilisation particulière du langage révèle la nécessité d’une appartenance à un groupe et le besoin de reconnaissance au sein de ce groupe, nécessité que l’on trouve tout naturellement dans les groupes adolescents.

-Selon un sondage de l’institut Taylor Nelson Sofres, l’utilisation des SMS et  mails réduiraient le QI de plus ou moins 10 points

 

La lutte contre le langage SMS peut être perçue d’une double manière :

 

-lutter contre la perte des traditions/moyens pour ceux qui utilisent les SMS.

 

-lutter contre la création d’un moyen de reconnaissance communautaire.

 

De cette manière, on pourrait considérer le langage comme à l’origine d’une divergence de la culture, qui serait à l’origine d’une nouvelle culture.

Si l’étude du phénomène SMS semble anecdotique, il présente néanmoins des données intéressantes.

Ainsi, ce genre de phénomène montre une forme de rejet de la culture majoritaire (rejet qui s’accorde avec les caractéristiques propres des utilisateurs, à savoir la volonté de se forger une culture et une personnalité propre), mais du même coup, rend impossible toute forme de communication (qui doit passer par l’utilisation d’une langue commune).

Or, comme une langue est toujours un acquis, elle passe toujours par une société, et passe donc toujours par les valeurs qui parcourent cette société.

Si bien qu’une langue est définie par un ensemble de valeurs qui lui donnent son intégrité. C’est ce rapport aux valeurs dans la langue qui fait du langage un fait nécessairement culturel.

Ce type d’explication par rapport aux valeurs permet ainsi d’expliquer le conflit entre 2 cultures différentes. Si les valeurs, la culture définissent la langue, alors les nations en opposition ne pouvant pas se comprendre, cela augmente les possibilités de conflit (Cf. le mythe de la tour de Babel).

Si bien que communiquer n’est peut-être en fin de compte qu’apprendre à parler la même langue (comme semble l’indiquer la racine commune avec communier, qui signifie ne faire qu’un), pour unifier des jeux de valeurs différents et arriver à une culture commune

Ce qui pourrait alors aboutir à la conclusion suivante :

La langue (système de convention particulier, comme le français, l’anglais, etc.) se crée autour des valeurs, tandis que le langage (le fait de communiquer) permet la création et l’échange de valeur.

Maîtriser la langue d’un pays, c’est donc être capable de s’adapter à la société de ce pays, tandis que créer une langue revient à essayer d’insérer ses valeurs dans une nouvelle société et découle d’un besoin de reconnaissance.

Créer le langage en fin est simplement l’acte fondateur d’une société.

Dès lors, la défense ou la lutte contre le langage SMS n’est en fin de compte qu’un conflit visant pour les uns à affirmer leurs valeurs et à être reconnu, tandis que pour les autres il s’agit avant tout de sauvegarder ses propres valeurs.

 

Mais cela amène des conséquences qui dépassent le simple cadre du problème ci-dessus, puisque empêcher la parole revient alors à empêcher la reconnaissance, ce qui pose alors la question du droit à la parole.

Y a-t-il un droit à la parole ? Pour tous ?

Le problème se pose notamment dans le cas des discours les plus extrêmes, car les autoriser au nom de la liberté de parole (le fameux 1er amendement de la constitution américaine) reviendrait alors à autoriser les valeurs qu’ils véhiculent.

De même, la parole, si elle donne un pouvoir à celui qui parle (le pouvoir de s’affirmer), donne également un pouvoir à l’auditeur, car refuser d’écouter revient alors à refuser de reconnaître, c’est-à-dire ne pas respecter, ne pas considérer l’auteur de ce discours.

Le langage est donc un pouvoir que j’ai sur l’autre, mais également un pouvoir que l’autre a sur moi.

 

III) La force du langage

           

            A)Le langage, outil de manipulation.

 

                Exemple : Eve qui détourne par ses mots Adam de la voie divine

 

Question : Peut-on permettre aux discours extrémistes de s’exprimer ?

Quelle que soit la réponse apportée à la question précédente, les conséquences sont gênantes puisque :

 

-si l’on répond oui, cela risque d’engendrer des adules, une similitude dans le langage signifie une similitude dans les valeurs. Or, d’après ce que nous avons vu précédemment, cette réunion de personnes identiques risquent d’engendrer une volonté de reconnaissance et à la création d’une société visant à l’exprimer.

 

-si l’on répond non, le risque est alors double :

 

*tout d’abord, sur quels critères cette interdiction se fera-t-elle ? Car si les critères peuvent  nous sembler juste, ils sembleront nécessairement injustes à ceux qui se voient interdit de parole et dans ce cas, pourquoi ne pas interdire tout discours polémique (ce qui sera injuste pour ceux qui voudraient les tenir, mais juste pour leur victime), avec le risque alors de faire du langage un outil creux car trop consensuel. Le langage ne correspondrait plus alors aux valeurs de personne et n’exprimerait alors plus rien (la fameuse langue de bois, qui permet d’être d’accord avec tous sans rien n’exprimer de personnel)

 

*de plus, cette interdiction risque d’engendrer des modifications dans la forme du discours, mais sans que ce dernier n’ait changé de valeurs, uniquement dans le but de dépasser l’interdiction. Ce type de changement risque d’amener une reconnaissance erronée qui pourrait amener certaines personnes à se reconnaître dans certains discours dont elles n’auraient pas saisi les valeurs.

 

 

Dans tous les cas, cette question présuppose un impact des mots sur ses interlocuteurs, non seulement au niveau de leur sensibilité (dans la reconnaissance de l’autre, et donc dans son respect), mais également au niveau de leur action.

En effet, si la pensée prend nécessairement une forme langagière (cf. Hypothèse Sapir-Whorf), alors se laisser entraîner par un certain type de discours revient à changer sa manière de penser. Or, comme l’action est déterminée en partie (si l’on exclut les inférence sociale) par la pensée de l’homme, il est possible par le discours d’amener à telle ou telle type d’action.


Exemple : Ionesco rapporte que durant une conférence d’Hitler à laquelle il avait du assister, il avait senti, bien que fermement opposé aux théorie nazis, la nécessité de certaines actions qui étaient énoncées par le führer et ce n’est qu’en se raisonnant (en faisant usage de son langage propre) qu’il avait pu chasser cette contamination de ses pensées.

 

De même, si la pensée prend une forme langagière, alors prendre la parole revient alors nécessairement à se découvrir. Si bien que si l’on veut se faire passer pour quelqu’un que l’on est pas, il faut alors changer notre discours, ce qui arrivera dans le cas d’une interdiction de certains discours.

Le problème ici posé par le langage humain et simplement celui de pouvoir faire passer des valeurs différentes que celles que nous avons réellement en modifiant simplement notre discours : il s’agit tout simplement de la capacité de mentir de l’homme.

Or, comme Sartre l’indique, l’autre se fera une image de moi qui me définira pour lui comme un objet facilement compréhensible, objectivation qui sera tronquée par l’usage d’une langue qui n’est pas la mienne.

Or, comme l’action de l’autre est définie par le regard qu’il porte sur moi (c’est-à-dire par le forme objective qu’il m’a donné), son action sera elle aussi biaisée par mon mensonge initial.

La parole semble donc permettre non seulement de modifier la perception que l’autre a de moi, mais elle est également en mesure d’influencer son action.

Même pour l’homme qui ne cherche pas à tromper son entourage, on ne peut nier qu’il « choisit ses mots », et donc qu’il choisit la part de lui qu’il souhaite mettre en avant, si bien qu’il semble impossible de jamais connaître réellement quelqu’un par le langage.

Même avec de bonnes intentions, il semblerait que parler ce soit toujours manipuler (nous pouvons même dire que ne pas parler, c’est déjà manipuler, car le silence est tout aussi révélateur parfois que la dénégation).

 

            B) La parole, catharsis de l’âme


            Dès lors, nous pouvons nous demander pourquoi nous devrions alors parler/écouter, puisque c’est toujours se soumettre à une manipulation.

Nous pouvons trouver la réponse dans le rapport qu’il existe entre parole et pensée.

Si la pensée est transcrite par le langage, même si la parole n’est pas extériorisée vers autrui, elle est toujours présente chez l’homme, si bien que l’homme ne peut jamais échapper au langage (le remord serait alors dans ce cas notre propre esprit qui répéterait inlassablement la source de notre malaise).

Si bien que si la pensée est équivalente au langage, comme il est impossible de s’échapper du langage il est alors impossible de s’échapper à soi-même, c’est la fameuse facticité sartrienne.

L’homme est alors condamné à être enfermé avec son propre juge (la conscience morale) et à entendre sans arrêt ses jugements prononcés. Le moi reste alors enfermé dans ses fautes, avec les conséquences qu’il est possible de conjecturer : le risque important d’aliénation mentale.


Exemple : le cas d’Elizabeth Von R. Celle-ci refusait d’exprimer l’attirance qu’elle éprouvait pour son beau-frère, mais cela n’empêchait cependant pas cette attirance de s’exprimer dans la pensée d’Elizabeth. Or, c’est à cause de cette retenu que son hystérie s’est développée.

Nous pouvons retrouver ce type de mouvement dans le cas Anna O. et dans beaucoup de cas de pathologie mentale.

 

Parler revient alors à extérioriser son moi (la talking cure développée par Breuer et Freud), dans le but de le soumettre au jugement extérieur.

Le jugement extérieur permet alors à la pensée de s’échapper, car même si elle doit en subir les conséquences, la pensée se retrouve alors libéré du « poids des mots ».

Dans ce cadre, le langage joue donc le rôle de catharsis, rôle que l’on retrouve notamment dans le cadre des journaux intimes et autres blogs.

 

 

 

Conclusion

 

            Le langage semble donc une spécificité humaine, en ce sens qu’il exprime dans le même temps sa capacité de penser et sa capacité de se juger (conscience psychologique et conscience morale). C’est de ce double rapport à la conscience que la difficulté vient alors, notamment dans l’attribution d’un langage à l’animal, car cela reviendrait alors à attribuer une conscience à ce dernier. De plus, le langage n’est pas un acte anodin, puisqu’il exprime une capacité de l’homme à engendrer sans avoir besoin d’agir, mais également la nature profondément malheureuse de ce dernier, condamné à vivre avec ses propres pensées. Si le langage est donc la spécificité qui fait de l’homme un être apparemment supérieur, elle le rend également méprisable car torturé par ses propres voix intérieurs, vérifiant ainsi la citation de Pascale « l’homme est un roseau, le plus faible qui soit, mais c’est un roseau pensant ».

 

Publié dans notions complètes

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