langue et identité (partie 1)

Publié le par Bartholomeus

Le sujet de cet article est une remise en cause d’un préjugé qui semble fondé de prime abord, mais dont j’essaierai de montrer les failles. Ce préjugé porte sur le langage et plus particulièrement sur sa vertu soi-disant unificatrice.

En effet, les exemples ne manquent pas pour accréditer cette soi-disant évidence.

Ainsi, pour arrêter un conflit, la diplomatie a pour but de renouer le dialogue (c’est-à-dire que le conflit viendrait alors d’un manque ou d’une absence de communication), les nations se sont construites autour de l’affirmation d’une langue commune (affirmation largement contestable si on la prend au cas par cas, mais qui semble justifiée dans de nombreux autres).

Cette idée a d’ailleurs une longue tradition, puisque le mythe de la tour de Babylone (repris par la suite dans la religion catholique comme étant le mythe de la tour de Babel) qui date de l’époque sumérienne (même si son origine paraît plus probablement être la civilisation babylonienne post-sumérienne) postule déjà ce fait.

Petit rappel pour ceux qui auraient fait l’impasse sur la mythologie babylonienne :

Le peuple de Babylone (qui était l’une des cités les plus importantes de l’antiquité), pour célébrer la félicité de leur cité, décida de construire un temple gigantesque pour montrer au monde la grandeur de leur nation.

Ainsi, grâce à l’entente qui régnait dans le peuple de Babylone, les travaux commencèrent et avancèrent rapidement, si rapidement que les divinités babyloniennes commencèrent à craindre que les babyloniens ne les rejoignent dans leur cités divines et elles se tournèrent donc vers le dieu tutélaire de Babylone, Mardouk, pour lui demander d’agir. Mardouk se tourna donc vers la cité, et lança un sort sur le lac qui alimentait la ville en eau. Tandis que les Babyloniens commençaient à boire l’eau du lac, leur langage se modifia, si bien que rapidement plus personne ne parla la même langue dans la cité de Babylone. Incapable de se comprendre et de s’entraider, la construction de la tour fut interrompue et peu à peu, des conflits de plus en plus fréquents touchant la cité.

Rapidement, la cité fût en proie à la guerre civile, si bien que le grand prêtre de la cité se tourna vers Ishtar pour lui demander de l’aide. Celle-ci demanda à Mardouk de lever la malédiction. Ce dernier accepta et créa un poisson qu’il plaça dans le lac, poisson qui rendait l’usage de leur langue maternelle à tout ceux qui en mangeraient.

Ainsi, les Babyloniens commencèrent à retrouver l’usage de leur langue, et les conflits s’arrêtèrent d’eux-mêmes. Cependant, certains citoyens ne mangèrent pas du poisson magique et restèrent donc incapables de comprendre leur ancienne langue. Pour éviter les conflits avec leurs anciens voisins, ceux qui n’avaient pas mangé de poissons décidèrent de quitter la ville et de peupler les régions alentour, créant ainsi les différents peuples.

Ce mythe est intéressant car il révèle 2 éléments :

-d’une part, la différence de langues engendre la dissension et des langues différentes sont sources d’opposition

-d’autre part, une même langue engendre l’union et l’entente entre les différents pratiquant de cette langue.

Ce mythe semble donc accréditer l’affirmation selon laquelle l’unicité de langue serait une condition nécessaire à l’unité des personnes. De là découle l’idée que la langue est une condition de l’identité (personnelle tout autant que nationale), l’individu ne se reconnaissant qu’au travers d’une langue qu’il partage avec d’autres.

Cependant, la théorie que je vais exposer ici postule l’affirmation contraire, à savoir que la langue n’est pas un facteur d’unité, mais au contraire un facteur de divergences. C’est-à-dire que le langage ne fait qu’isoler les individus au lieu de les rapprocher.

Avant d’étayer mes propos, un exemple pour illustrer cette idée (exemple triviale, mais qui suffira largement à illustrer mon propos).

Prenez une rame de métro, avec tous ses usagers à l’intérieur. Dans cette rame, personne ne parle, tous attendent l’arrivé à leur station. En l’absence de paroles, tous ces individus peuvent être considérés comme identiques, puisque personne ne se rapproche ni ne s’éloigne d’autrui (chacun reste à sa place, selon ses convenances personnelles).D’où l’identité des différents individus, qui partagent tous les mêmes aspirations (être à la place qui leur convient le mieux). Imaginons à présent que tous se mettent à discuter avec leur voisin (en considérant que chacun choisisse le sujet de son choix).

Que verra-t-on alors se produire ?

On peut imaginer que les individus côte à côte n’ont pas nécessairement les mêmes centres d’intérêt, si bien que s’ils en ont l’occasion, les individus chercheront à changer de place pour discuter avec d’autres personnes. Ces changements continueront jusqu’à ce que les individus soient à proximité de personnes qui partagent les mêmes sujets de discussion.

Que peut-on en conclure ?

La conclusion qui semble la plus simple serait que le langage a permis aux individus de se rassembler.

Cependant, est-ce pour autant que les individus se sont réellement rapprochés (au sens d’une unité qui se serait créée entre eux) ?

En effet, on imagine plus facilement que les individus ne se sont pas rapprochés des autres, mais ce sont rapprochés de leurs envies personnelles, envies qu’ils ont projetées par le langage sur les autres. Ce ne serait donc que parce que le langage les a éloignés de certaines personnes qu’incidemment ils se seraient rapprochés d’autres personnes, personnes dont la compagnie les rapprocherait d’eux-mêmes.

Le langage n’aurait de vertu unificatrice qu’incidemment, car il unifierait simplement les individus qui auraient le moins de différences entre eux.

La nuance peut sembler anecdotique, mais elle possède néanmoins son importance. Quelques cas pour nous en convaincre :

-la prétention de l’espéranto (et des autres langues « universelles ») à unifier les différents peuples en leur permettant d’avoir un outil de communication universelle se trouverait largement relativisée, puisque si notre théorie est exacte, elle ne ferait qu’exacerber les particularismes.

-les réunions linguistiques de certaines contrées ne feraient que les isoler d’autres qui ne partageraient pas la même langue qu’eux (exemple des populations de langues arabes, qui si elles s’unifiaient sous une même langue, risqueraient alors du même coup de s’isoler du reste du monde, avec les problèmes que cela risquerait d’engendrer ou encore de l'hégémonie de l'anglais,qui divise le monde entre ceux qui le maitrise d'une part et les autres).

Etc.

Cette question est donc d’importance, que ce soit au niveau philosophique, mais également au niveau géopolitique.

Il s’agira donc de montrer que la langue n’est pas facteur d’identité (ni au niveau personnel, ni au niveau social), mais au contraire de dissensions et d’éloignement (encore une fois sur ces 2 niveaux).

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