4ème notion: l'interprétation (notion ES)

Publié le par Bartholomeus

                              L'interprétation




Introduction

 

            Qu’est-ce que l’interprétation ? Il s’agit tout simplement de la recherche du sens qui semble être caché derrière des faits. Or, ce sens peut soit être présent de fait, auquel cas l’interprétation est une enquête qui vise à découvrir ce qui est caché, soit il n’existe pas, auquel cas l’interprétation est simplement la découverte d’un sens qui justifiera de l’existence de l’objet interprété.

Quels objets peuvent être source d’une interprétation ? Quand un objet possède déjà un sens qui s’offre à nous, alors il n’est pas nécessaire de passer par l’interprétation, car ce qui nous est offert ne doit plus être recherché, ce n’est donc que quand le sens sera obscur qu’il faudra recourir à l’interprétation.

 

Exemple :* la phrénologie, qui en étudiant la forme d’un crâne, cherche à déterminer les qualités que la personne possède. C’est la phrénologie qui a inspiré l’expression « avoir la bosse des mathématiques. »

*la chiromancie, qui est l’étude des lignes de la main. Celles-ci n’ont pas de sens directes, et c’est par un interprétation de leurs formes, inclinaisons, tailles et nombres que l’on arrive à distinguer ce qui est sensé être programmé pour la vie d’un individu. Cette étude se base donc sur la croyance que le corps révèle, de manière caché au travers de ses parties, le sens et l’évolution qu’il prendra dans le futur.

 

Or, si l’interprétation est la recherche d’un sens de la nature, alors peut-on dire que les sciences naturelles sont une forme d’interprétation de la nature ?

C’est ici qu’il faudra faire une distinction entre les différentes recherches de sens. En effet il est possible de distinguer plusieurs compréhension pour ce terme :

 

-tout d’abord le sens comme signification, c’est-à-dire que le sens est ce qui est recouvert sous l’objet, l’idée, le concept auquel l’objet renvoie. Dans ce cas, le sens répond à la question « que signifie… ? »

 

Exemple : le sens d’un texte, d’un geste, etc. En règle générale, il s’agira du sens quand il est rattaché au langage (verbal ou non-verbal).

 

-le sens comme but de l’existence de l’objet, ce qui justifie son existence. Dans ce cas, le sens répond à la question « pourquoi …? »

Exemple : le sens de la vie

 

-le sens enfin comme visée vers lequel l’objet tend, c’est-à-dire ce qui donne son mouvement, sa dynamique à l’objet. Dans ce cas, le sens répond à la question « Vers quoi… ? »

 

Exemple : le sens de l’évolution naturel.

 

Or, selon le sens qui est ici considéré, on pourra ou non parler d’interprétation. Quand il ne sera pas possible de parler d’interprétation, on parlera alors de compréhension. La compréhension cherche à détailler le comment d’un objet/phénomène, c’est-à-dire à établir de manière analytique la causalité à laquelle renvoie le phénomène.

Exemple : comprendre les motifs de quelqu’un, c’est retracer l’ensemble des raisons qui l’ont conduire à accomplir son action, en retraçant l’impact de chacune des actions précédentes sur l’action présente.

*Comprendre pourquoi on a échoué à un examen, c’est voir si les révisions ont été suffisantes, si le stress était trop ou pas assez important, etc.

 

A l’inverse, l’interprétation se dégage, semble-t-il, totalement des conditions qui ont amené l’objet/phénomène/action, en cherchant simplement à rendre compte de son existence dans son immédiateté.

Exemple :si je cherche à interpréter les motifs de quelqu’un, je ne cherche pas à retracer les raisons qui l’ont poussé à faire son acte, mais l’état d’esprit qui a engendré cet acte et donc le sens que la personne donne à cet acte.

*Interpréter une œuvre d’art c’est chercher à savoir ce que cette œuvre d’art exprime.

 

L’interprétation semble donc poursuivre un but très différent de celui de la connaissance. Dans un cas, on cherchera à expliquer (pour la connaissance), dans l’autre à justifier.

Ainsi, dans un cas comme dans l’autre, que ce soit au travers de la connaissance ou de l’interprétation, l’homme cherche à connaître les causes du monde qui l’entoure, mais selon des modalités différentes. Ces différences de modalités peuvent nous renvoyer aux différents sens de la causalité qu’Aristote distingue dans la « Métaphysique » :

 

-tout d’abord la cause matériel, qui est ce à partir de quoi l’objet existe

 

-ensuite la cause efficiente, qui est « l’agent » qui a amené l’objet à l’existence

 

-la cause formelle, qui est l’organisation « spatiale » de l’objet

 

-enfin la cause finale, qui est la raison d’être de l’objet.

 

Or, si la compréhension cherche à découvrir les causes efficiente et formelle des objets (la cause matérielle étant bien souvent l’objet d’un donné, qui ne nécessite donc pas de recherche particulière), l’interprétation quant à elle cherchera à élucider la question de la cause finale, car déjà chez Aristote, c’était elle qui était organisatrice de toute les autres causes (c’est d’ailleurs ce dernier sens qui est resté aujourd’hui l’unique sens du terme cause).

Ainsi, l’interprétation, en se posant en opposition au principe de compréhension, viendra limiter les prétentions de la connaissance, en réaffirmant la pluralité irréductible de la signification, pluralité qui ne saura jamais être réduite à une simple équation (et ce malgré les efforts des logiciens depuis Aristote).


Exemple : ainsi, les littéraires et les scientifiques ne s’opposent par réellement quant à leur but, qui est toujours une recherche de connaissances, mais là où les scientifiques cherchent une compréhension en guise de connaissance, les littéraires recherchent une interprétation de la connaissance. D’où la possibilité d’effectuer des rechercher dans les domaines littéraires tout autant que dans les domaines scientifiques.


Cependant, si l’interprétation est également un rapport au monde, à la manière de la compréhension, il s’agira d’un rapport plus souple, et c’est de cette souplesse que pourront naître les principales critiques à son encontre.

En effet, si l’interprétation est la recherche d’un sens toujours caché, cela ne nous laisse que 2 possibilités :


-soit l’interprétation disparaît quand le sens caché est atteint (dans le cas d’un sens déjà présent qui serait simplement à retrouver) et donc l’interprétation viserait à disparaître d’elle


-soit l’interprétation demeure après la découverte d’un sens, car il ne s’agirait alors que d’un sens possible (dans le cas de l’absence de sens et la création par l’homme de ce sens face au monde), auquel cas le travail de l’interprétation est infini, puisqu’il ne pourra jamais fixé un sens comme étant le référent ultime.


Or, c’est de cette double possibilité, recherche infinie ou recherche éphémère que va naître le problème de l’interprétation : pourra-t-on parler de vérité ou de justesse en parlant d’interprétation, ou toute interprétation d’un phénomène sera-t-elle juste ?

C’est pourquoi, nous pourrons considérer dans un premier temps que l’homme est producteur de sens, et que du fait de l’évolution de l’homme, la production de sens évoluera tout le temps, nous entraînant dans un cercle infini d’interprétation.

Cependant, considérer que le jeu de l’interprétation pourrait être infini, n’est-ce pas d’une certaine façon ouvrir la voie à toutes les interprétations possibles ? Dès lors, sur quels critères pourra-t-on considérer que nous sommes dans une interprétation juste ou une interprétation erronée, c’est-à-dire que dans ce cas, il serait impossible de parler d’objectivité de l’interprétation. Or, si l’interprétation est recherche de sens, le langage étant le fait d’attacher un sens à des signes conventionnels, on se retrouve alors obliger d’affirmer que toute interprétation langagière serait indépendante de l’intention qui y est mise et donc l’inutilité de toute communication. C’est pourquoi il nous faudra dans un 2ème temps considéré que l’interprétation, si elle ne recherche pas les causes qui ont amené les phénomènes, se base pourtant sur des critères objectifs, critères qui pourront tracer un portrait de l’humanité à un moment donné.

 


I)De l'impossibilité d'établir une " bonne interprétation"


            Les conditions à priori qui rendent possible cette conception sont tout simplement le fait qu’il n’existerait pas de sens prédéfini dans les objets qui nous entourent et que c’est l’homme qui est producteur de sens.

Or, dans ce cas, il faut nous intéresser aux objets qui seront susceptibles de nous renvoyer à un sens non-réel, mais pourtant comme pressenti, deviné derrière l’apparent manque de « logique ».

Question : de l’interprétation du rêve. Les archétype de Jung

L’un des premiers cadres qui sera le jeu de l’interprétation sera celui de l’imagination. En effet, on parle d’interprétation principalement dans les domaines suivants : les écrits, les dessins, la musique, c’est-à-dire au sein de tout ce qui semble être l’œuvre de l’imagination humaine.

Problème : l’interprétation des phénomènes naturels, comme les pythies, les oracles, qui en dehors des sens qu’ils peuvent donner à la nature sont surtout révélateur de la pensée humaine que la nature a un sens, une cause finale et donc pour reprendre la causalité aristotélicienne, également une cause efficiente, qui sera Dieu, les dieux, Gaïa, etc.

Or, avec les théories freudiennes va se généraliser un nouvel objet d’interprétation, les rêves.

 

            A)Les archétypes de Jung.


            Jung sera pendant un temps l’élève de Freud, et sera même considéré par ce dernier comme son successeur potentiel. Cependant, les divergences d’opinions entre les 2 hommes vont rapidement se creuser (Jung critiquant notamment l’importance donnée par Freud à la sexualité), si bien que quelques années après leur rencontre Jung quitte Freud pour fonder son propre courant de pensée. Pour cela, Jung étudiera quelques civilisations éloignées de l’Europe (notamment africaine) et en reviendra avec les conceptions suivantes. Tout d’abord, l’esprit humain est avant tout un objet qui reste mystérieux pour l’homme et difficile à atteindre.

« Apprenez vos théories aussi bien que vous le pouvez, puis mettez-les de côté quand vous entrez en contact avec le vivant miracle de l'âme humaine »

En effet, Jung va rapidement comprendre l’impossibilité de rendre compte de la complexité humaine, tout simplement par le fait que s’il était déjà délicat d’expliquer les rapports qu’il pouvait exister entre les 3 parties de l’esprit chez Freud, le rapport se complexifie encore plus avec Jung, puisque il n’y a plus chez lui un seul, mais bien 2 inconscients.

Or, pour Jung, ces 2 inconscients seront à la base de la formation de toutes nos productions oniriques.

En effet, le premier de ces inconscients ressemblent énormément à la première version de la notion chez Freud, à savoir que l’inconscient est formé d’un ensemble de souvenirs de notre passé. « Rien n’influence plus un individu que son environnement psychologique et particulièrement, dans le cas des enfants, la vie que leurs parents auraient souhaitaient avoir ».

Chacun de nous est donc d’une grande complexité, puisque notre vie, nos expériences passées (qui sont donc propres à chacun) influence l’ensemble des actions que nous serons susceptibles de faire par la suite. « nous nous rencontrons maintes et maintes fois sous milles déguisements sur les chemins de la vie ».

Or, cette complexité, que l’on retrouvait déjà dans l’interprétation des rêves freudienne(notamment au travers de l’impossibilité de fixer des critères invariants d’interprétations des rêves, puisque les critères seront toujours propres aux personnes concernées), se trouve accentuée quand entre en jeu le second type d’inconscient, l’inconscient collectif.

En effet, pour Jung, chaque être humain possède à l’intérieur de lui-même une part de souvenirs communs à l’ensemble de l’espèce, souvenirs qui se baseront sur l’ensemble des grands événements qui ont touché l’humanité (naissance, bonheur, maternité, danger, rencontre avec les forces de la nature, rencontre avec les animaux et symboles divins). Tous ces archétypes, à force de répétitions dans les générations passées ont fini par « marquer » le patrimoine génétique de tout homme, qui possède alors toutes ses images à l’intérieur de lui.

Or, les relations entre les 2 types d’inconscient vont se baser sur la base suivante :

En règle générale, seule l’inconscient personnel sera à l’œuvre dans les rêves, si bien que leur interprétation dépend avant tout d’un travail sur la personne individuel. Cependant, à l’approche de grands événements pour une personne (événements qui correspondent à un des archétypes), alors les rêves seront teintés de l’inconscient collectif, et un ensemble de symboles, communs à toutes l’humanité, va se retrouver mêlé aux symboles personnels.


Exemple : le symbole de l’enfant, qui représente un nouveau départ, celui de la mer ou du fleuve, qui renvoie à l’existence, etc.


Pour Jung, ce recours aux grands archétypes de l’espèce est un moyen de défense de l’esprit pour affronter un événement que l’espèce humaine a appris à reconnaître comme étant très important. D’une certaine façon, ce recours à une mémoire « génétique » est un moyen pour l’esprit de trouver à l’intérieur de lui-même les forces nécessaires au passage de ce cap, en s’inspirant de l’expérience de ces ancêtres qui lui apparaîtrait en rêve.


Exemple : la transe aborigène, qui est un état de mi-sommeil volontaire, par l’usage de drogues, dans l’espoir d’entrer en contact avec l’esprit des ancêtres quand une décision importante pour la personne doit être prise.

Les rites shintoïstes, qui en appellent aux ancêtres et à leur bénédiction à chaque fois qu’un événement important a lieu dans la vie de la personne (mariage, naissance, etc.)


« A cet égard, ils [les archétypes] fonctionnent comme des complexes. Ils vont et viennent à leur guise, et souvent, ils s'opposent à nos intentions conscientes ou les modifient de la façon la plus embarrassante »

Dès lors, le problème de l’interprétation devient complexe. En effet, si ces archétypes traverses les productions inconscientes de l’homme, ils traversent également ses productions conscientes et donc peuvent traverser les production artistiques et, en générale, l’ensemble des interprétations qu’il est possible de tenir vis-à-vis du monde qui nous entoure ou que nous créons.

Dès lors, le sens d’une production interprétable ne sera jamais un donné, car les archétypes ont leur volonté propre, qui leur permette d’apparaître à leur bon vouloir, nous empêchant d’être assuré de l’interprétation que nous pourrons en faire.


Exemple : le recours à un enfant dans un livre ne signifie pas nécessairement le passage d’une étape importante pour la personne, mais le fait de rêver de ce même moment du livre peut signifier ce passage pour le rêveur.


C’est dans l’impossibilité d’établir un rapport fixe entre le symbole et sa signification que va se développer le jeu infini de l’interprétation. Cependant, si la conception de Jung nous empêche d’affirmer un caractère fini à l’interprétation, elle nous permet de révéler au moins un point intéressant quant à celle-ci :

Certes l’interprétation n’est pas une compréhension (pour les raisons vues plus haut), mais c’est tout du moins l’expression du besoin de cette même compréhension.

Ainsi, il faut nous intéresser à ce besoin que semble révéler l’interprétation, le besoin de compréhension.

 

            B)L’interprétation des textes.


            La notion d’interprétation va se retrouver intimement liée à l’écriture(ou à la parole), de par l’aspect purement conventionnel de la langue. Ainsi, la langage sera toujours le lieu d’une interprétation. Cependant, nous pouvons objecter ici, contrairement à l’hypothèse que nous avions défini un peu plus tôt, que le langage possède bien un sens à découvrir et que dans ce cas l’interprétation n’est plus un jeu de création infini, mais bien une recherche méthodique, qui finira avec la découverte du sens caché derrière les mots. Cependant, il nous faut alors revenir sur la réserve philosophique vis-à-vis des textes.

En effet, la tradition philosophique, que l’on fait couramment remonter à Socrate, se veut méfiante par rapport aux écrits, car bien que le sens d’un écrit soit porté par l’écrit lui-même, une fois son écrivain mort, le sens meurt avec lui. C’est ce que Socrate dénonçait déjà à son époque et ce qui explique qu’il ne nous ai fait parvenir aucune œuvre écrite.

Il faut pour comprendre cela considérer le point suivant :

Comment peut-on réussir à détourner le sens qu’une personne met dans sa production, alors que ce sens est ce qui a donné la forme de cette production ?

Ici se trouve posé le problème de la pluralité de sens du langage, son caractère équivoque, c’est-à-dire qu’à un même terme correspond plusieurs sens différents. Or, c’est des relations entre sens que l’interprétation va dégager le sens générale.

Cependant, comme Quine nous l’a montré, le jeu des significations de l’être humaine n’est jamais basé sur un modèle de rapport stricte d’un terme à un objet, mais sur le rapport d’une lutte des significations, dans laquelle le sens de chaque terme, pris individuellement est déterminé par le sens des termes qui l’entourent.


« La totalité de notre soi-disant connaissance ou de nos croyances, depuis les faits les plus anecdotiques de la géographie et de l’histoire jusqu’aux lois les plus profondes de la physique atomique ou même des mathématiques pures et de la logique, est une étoffe tissée par l’homme, et dont le contact avec l’expérience ne se fait qu’aux lisières. Ou, pour changer d’image, la totalité de la science est comme un champ de forces dont les conditions aux limites sont l’expérience. Un conflit avec l’expérience, se produisant à la périphérie, occasionne des réajustements à l’intérieur du champ [...]. Aucune expérience particulière n’est liée à des énoncés particuliers à l’intérieur du champ sinon indirectement par des conditions d’équilibre affectant la totalité du champ », Quine, « From a logical point of vue »


Ainsi, Quine comparait le jeu du langage au bateau d’Otto Neurath (philosophe auteur du manifeste du cercle de Vienne), à savoir un bateau en pleine mer, qui n’aurait d’autre solution pour réparer ses avaries que d’utiliser les pièces disponibles à son bord. De la même façon, le langage doit être compris dans son rapport à la réalité comme indépendant, la réalité n’étant que l’élément dans lequel le langage évolue, et avec lequel il ne partage que des rapports périphériques.

Ainsi, tous nos discours se soutiennent mutuellement, sans aucun fondement unique à la base auquel nous pourrions tous les renvoyer. C’est pourquoi, le défaut d’interprétation de la langue, qui renverrait à une multiplicité de sens possibles s’expliquent dès l’origine, car dès l’apprentissage, l’indétermination du sens apparaît, et celle-ci ne disparaîtra jamais complètement. En effet, ce n’est que par limitation successive du champs de signification d’un terme que l’on peut arriver à sa signification propre.


Exemple : faire la cartographie d’un lien sans aucun point de repère fixe, simplement au sein d’un vaste champs vide.


C’est pourquoi la théorie de Quine fut considéré comme un holisme épistémologique, c’est-à-dire qu’il n’est possible pour Quine (et pour Duhem, qui travailla avec Quine sur ce problème) de connaître la signification d’un terme langagier qu’au travers de la signification de l’ensemble de la langue dans lequel il est écrit.

Dès lors, toute interprétation n’est possible que comme jeu infini de limitations successives où chaque nouveau terme (dans le cas d’un texte) ou expérience (dans le cas d’un fait) ne sert qu’à délimiter plus précisément la signification d’un membre de la phrase/action. Cependant, comme l’ensemble des termes/faits est soumis à ce principe, toute interprétation est nécessairement toujours fluctuante, sans pouvoir ramener jamais à un sens fixe et définitif.

Or, le problème est encore plus aiguë lorsqu’il s’agit de textes qui nous vienne du passé. En effet, même si la langue utilisé semble correspondre à la nôtre, rien ne peut nous assurer que l’acceptation des termes écrits renvoie bien à celle que nous possédons. Toute interprétation est toujours contextuelle, or, le contexte étant variant, aucune interprétation n’est fixe.

L’interprétation n’est donc pas une recherche de sens caché, mais un travail de délimitation du sens, sens qui ne pré-existe pas à sa propre délimitation, ou plus exactement qui n’est pas accessible avant sa propre délimitation.


Exemple : les nouveaux langages. La réutilisation de termes courants dans un sens totalement différent, réutilisation qui ne prend du sens n’ont pas en fonction d’un donné fixe, mais par une répétition régulière d’un même terme dans un contexte particulier. « ça déchire », « it rains cats and dogs », etc.


Ainsi, l’interprétation renvoie ici à un problème de limite entre ce qui est donné dans la langue et ce qui est simplement inféré, le problème chez Quine se résolvant en considérant que toute interprétation est toujours une inférence de sens.

Cependant, si toute interprétation est toujours recherche de l’inférence et de ce qui est inféré, cela pose une double conséquence :


-tout d’abord, il doit être possible d’identifier l’inférence en tant que tel, c’est-à-dire que l’homme doit pouvoir différencier l’inféré du donné (ou pour faire simple, le 2ème degré du 1er).


-Ensuite, il faut que l’inféré puisse être accessible et que derrière l’inférence, l’homme soit capable de remonter à son origine, ce qui une nouvelle fois présuppose que derrière le sens que l’homme perçoit comme étant multiple (u fait du jeu du langage), il existe un sens plus essentiel qui lui serait un donné et qui n’est qu’inféré dans les faits, ce cachant ainsi parmi la multitude des interprétations possibles.


Ainsi, d’une certaine façon, toute réflexion sur l’interprétation est en fait une réflexion sur les notions de réalité et d’apparence.

 

            C)Nietzsche, la « volonté de puissance » comme interprétation du monde


            Avant de comprendre comment Nietzsche en arrive à affirmer notre rapport au monde comme étant purement de l’ordre de l’interprétation (élargissant ainsi la portée de notre réflexion à l’ensemble des objets existants, et non plus simplement aux objets « humains »), il faut d’abord comprendre à quoi renvoie la notion de volonté de puissance.

Le terme puissance doit ici être compris dans un sens proche de celui d’Aristote, c’est-à-dire que la puissance est ce que l’homme/objet peut devenir. Dès lors, la volonté de puissance n’est pas un simple devenir, mais ne sera pas plus un simple souci de conservation (car la conservation s’oppose en devenir, qui est toujours la mort de ce qui est devenu).

C’est pourquoi cette volonté de puissance s’oppose aux conceptions de Spinoza et Schopenhauer, pour qui le conatus/vouloir-vivre n’est qu’une simple tension vers l’existence. Pour Nietzsche, le vouloir dépasse se simple souci de survie, qui est en réalité une négation de la volonté de puissance. Si nous tentions de retranscrire cette notion, on pourrait parler de volonté de changement, il ne s’agit pas du changement lui-même ni de la survie, il s’agit d’une tension de la volonté vers le changement, d’une tension de la volonté vers elle-même –puisque la volonté ne peut s’exprimer qu’au travers de ses vouloirs, qui sont toujours un changement non-réalisés- d’une tension de la volonté à se réaliser.

Ainsi, la volonté de puissance (ou puissance de la volonté) ressemble d’une certaine manière au désir, qui cherche dans le même temps sa réalisation et la craint, bien que la volonté de puissance ne craigne pas sa réalisation, car elle ne disparaît pas dans celle-ci.

Or, l’être humain est volonté de puissance, non pas dans le sens où cette volonté constituerait son essence, mais dans le sens où celle-ci n’est qu’une interprétation de nous-même, car il nous est impossible d’établir un énoncé objectif sur nous-même et tout énoncé sur la nature humaine ne sera toujours dès lors qu’une interprétation.

Il faut comprendre que Nietzsche ne cherche pas à affirmer l’effectivité de la volonté de puissance, mais juste la possibilité de cette interprétation, car elle ramène alors toutes les autres thèses sur la nature humaine à de simples interprétations et réouvre alors le champs de réflexion sur le sujet.

L’interprétation est donc ici vue par Nietzsche comme étant ce qui permet à l’homme de toujours se poser la question et donc de ne jamais s’enfermer dans une réponse qui pourrait être erronée.

La volonté de puissance n’est donc qu’une tension, tension vers ce qui semble alors s’offrir à nous, c’est-à-dire le monde, et un monde bien particulier, qui nous est le plus proche, celui de notre corps et de nos sentiments.

Question : comment puis-je chercher à comprendre les autres et le monde, qui me sont étrangers, alors que j’ai déjà des difficultés à me connaître moi-même ?


Exemple : la difficulté qu’à l’Homme en général à se décider dans certaines situations.


C’est pourquoi toute connaissance sur le monde a toujours pour base la sensibilité. Or, si le rapport de connaissance s’effectue de moi vers le monde, ce rapport se fera alors sur un rapport d’analogie par rapport à nous-même.


Exemple : les différences d’interprétation d’un même objet, des mêmes personnes, qui ne sont en fait que des différences de point de vue dues au fait que nous ne mettons pas les mêmes choses dans les mêmes objets.


C’est pourquoi le monde n’est pas en soi, comme le pensera Sartre presque un siècle plus tard, mais bien un pour moi, c’est-à-dire que la volonté de puissance transforme le monde en son objet, qui est alors simple objet de l’interprétation.

La distinction entre réalité et apparence est alors fortuite, puisque ce qui m’apparaît est ce qui est réel, réalité et apparence n’existe plus (puisque si la réalité n’existe plus, l’apparence non plus, car elle se définissait par rapport à la réalité), il ne reste du monde qu’un vaste jeu d’interprétations différentes, qui s’opposent les unes aux autres, l’intersubjectivité (c’est-à-dire le monde dans ce qu’il a de commun à tous) n’est en fait que l’interprétation dominante, la vérité n’étant que ce qui convient à le plus de personne à un moment donné.

Cf. cours sur la vérité

Dès lors, l’interprétation est non seulement générale, mais surtout elle ne renvoie à aucun sens caché, derrière le voile de l’apparence il n’y a jamais qu’une autre apparence et la vérité de l’interprétation, la possibilité d’une « bonne interprétation » n’est jamais que la compréhension que tout n’est qu’interprétation.

 

Ainsi, l’interprétation, loin de nous plonger dans un subjectivisme par son jeu constant sur l’ensemble du monde, est en réalité la seule forme d’objectivité accessible et l’objectivité n’est alors que la prise en considération que tout n’est qu’interprétation. Cependant,  l’interprétation trouve une certaine objectivité dans l’intersubjectivité, puisqu’elle généralise les interprétations individuelles en une interprétation générale qui serait commune à tous. A partir de là, il est possible de se demander sur quels critères cette interprétation commune se met en place.



II)La bonne interprétation, révélatrice de la pensée humaine (Foucault)


            L’œuvre de Foucault est décrite selon ses propres termes comme un travail archéologique. En effet, comme un archéologue Foucault cherche des vestiges du passé pour en reconstruire la civilisation qui a créé ces vestiges. Cependant, Foucault contrairement à l’archéologue ne s’intéressera pas aux objets des civilisations, mais à leur structure, pour comprendre non pas les rouages d’une société, mais l’humanité des hommes qui l’ont mise en place et leur conception du monde.

Ainsi, quand Foucault s’intéressera à la folie, ce ne sera pas pour en décrire les mécanismes d’un point de vue médicale, mais pour montrer comment l’homme a considéré ceux qu’il voyait comme fous au cours des siècles.

Par son travail, Foucault en arrive à affirmer la dépendance de l’intellect humain à un ensemble de phénomènes qui le dépasse (comme chez Marx, où l’idéologie de l’homme est dictée par ses conditions de vie actuelles, l’idéologie n’étant plus alors qu’un moyen pour l’homme d’interpréter le monde dans lequel il vit).

Ainsi, et contrairement à ce qui nous était apparu jusqu’à présent, toute interprétation du monde n’est pas possible, ou plus exactement, elle ne sera pas considéré comme exacte qu’elle que soit l’époque donnée.

Ce qui structure le discours humain et lui donne un caractère de possibilité, c’est ce que Foucault appelle les épistémès. Une épistémè est la grille de savoirs qui rends compte de l’organisation intellectuelle d’une époque.


Exemple : les rangements d’une bibliothèque au cours des siècles et les déplacements de certains domaines de connaissance d’un endroit à un autre.


Ainsi, l’épistémè de l’époque à laquelle je vis détermine les discours que je pourrais tenir pour dire quelque chose de correcte. Dès lors, si le monde est tout entier interprétation de l’individu, toutes les interprétations ne se valent pas et on observe une normalisation des interprétations, qui distingue les interprétations correctes de celle qui ne le sont pas.

Bien plus, non seulement la norme est ce qui rend vraie ou fausse une interprétation, mais c’est également elle qui la rend possible.

Pour bien comprendre ce phénomène, Foucault étudie l’évolution historique de 2 phénomènes sociaux : la folie et la délinquance.

Il étudie alors les réactions historiques de la société quant à ces 2 phénomènes.

Or, ces observations l’amènent à une conclusion, c’est l’institution psychiatrique qui crée le fou, tout comme c’est la prison qui crée le délinquant.

En eux-mêmes, le délinquant et le fou ne sont que des individus qui refusent l’interprétation générale. Or, aucune interprétation ne peut prévaloir en dehors d’une épistémè et c’est justement l’épistémè qui définit l’interprétation générale et réciproquement.

Dès lors, c’est bien l’épistémè qui rend les gens délinquants ou fous, car elle les pose en dehors d’elle-même en limitant sa propre interprétation du monde.


Exemple : la vision de la réussite sociale, qui évolue au cours de la vie d’une personne, pour finalement atteindre la conception sociale que réussir sa vie, c’est réussir dans sa vie, toute personne  sortant de ce cadre étant considérée alors comme marginale.

Voir par exemple la conception la vision des acteurs et son évolution au cours des derniers siècles.


Or, cette interprétation générale, pour avoir sa force et pour pouvoir en imposer sur chaque interprétation particulière, doit posséder une structure de contrôle, qui doit pouvoir s’exercer au niveau individuel, d’où la naissance des micros-pouvoirs.

En effet, pour Foucault le pouvoir (l’état) ne peut suffire à juguler toutes les interprétations particulières, car le seul moyen d’expression de l’état est la répression, l’interdiction. Or, ces moyens ne permettent pas de « soigner » les interprétations déviantes, tout au plus d’en masquer les symptômes. Le rôle des micro-pouvoirs (parents, professeurs, patrons, en générale, tout représentant d’une autorité) au contraire est justement un rôle de normalisation. Ainsi, les avancés des sciences humains ne servent qu’à montrer les gens qui sortent de la norme, le rôle des professeurs qu’à exclure ou faire « rentrer dans le moule » les esprits trop individualistes (qui servent alors « d’épouvantails » pour effrayer la majorité), etc.

C’est-à-dire que toute interprétation générale crée toujours ses interprétations « rebelles » pour pouvoir exercer sa force, et ainsi exercer sa domination.


Exemple : l’état n’est utile que s’il y a des délinquants pour faire peur à la majorité des gens,  l’école n’est utile que s’il y a des élèves incapables de se tourner vers la connaissance par eux-mêmes,  l’hôpital psychiatrique n’a d’utilité que s’il y a des fous contre qui il doit nous défendre. C’est pourquoi, loin d’essayer de faire rentrer ces gens dans l’interprétation générale, ces institutions cherchent au contraire à en exclure certains, pour montrer la nécessité de son interprétation vis-à-vis des autres.


Ainsi, toute interprétation est avant tout dégagé comme possible par l’époque dans laquelle elle est trouvée. La bonne interprétation d’un phénomène n’est alors que l’interprétation qui correspond à la norme vis-à-vis de ce phénomène, les interprétations rebelles servant juste à fonder un peu plus l’interprétation générale, ou à la faire évoluer quand elle devient nécessaire.

Ainsi, nous retrouvons une conclusion assez proche de celle distinguer quant à la vérité, le critère de choix entre nos interprétations est avant tout pratique, même si dans le cas de nos interprétations, il semble encore plus arbitraire que dans celui de la vérité.

 


Conclusion


            Ainsi, le problème de l’interprétation ne nous renvoie en fin de compte qu’au problème de la vérité, puisque en dernière instance, il s’agit avant tout de déterminer ce qui permet de définir une interprétation comme valable. Cependant, l’interprétation prend sa singularité en affirmant la possibilité pour des interprétations opposées de coexister. Bien plus, il semble qu’en fait ces interprétations opposées doivent coexister, pour donner plus de force à l’une d’entre elle, en posant ses différences avec l’autre. C’est pourquoi, l’interprétation n’est ni un jeu infini de libre signification, puisque chaque sens est toujours borné (soit par l’épistémè de l’époque considérée, soit par les significations des termes alentours), ni une simple recherche d’un caché à découvrir, qui ferait de l’interprétation une simple traduction de l’apparence en un réel, l’interprétation est avant tout rapport au monde, rapport au monde, qui en affirmant sa subjectivité limite les prétentions à l’objectivité des autres interprétations, comme celle des sciences. L’interprétation peut alors être comprise comme ce qui donne son épaisseur au monde qui nous entoure et nous éloigne alors de la morne linéarité d’une vision trop scientifique.

 

 

Publié dans notions complètes

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